Histoire

Sarre-Union ou deux cités qui se découvrent

Une histoire de Sarre-Union par Jean-Louis Wilbert

Ancienne photographie de Sarre-Union

Bien joli nom que celui de SARRE-UNION donné au lendemain de la Révolution au futur chef-lieu de canton de ce bout d’Alsace dite « bossue » (Krummes Elsass) !

Bien joli nom, en effet, que celui qui évoque, depuis le 16 juin 1794, l’union de deux cités que tout semblait pourtant séparer. Non seulement la rivière Sarre et son pont bien souvent à péage, mais aussi la petite comme la grande histoire ! Depuis 1707, en effet, les deux cités ne se faisaient face que pour se narguer et rivaliser de plus belle, ignorant qu’un jour elles seraient réunies à tout jamais…

De Buckenheym à Bouquenom

Sur la rive droite se blottissait d’abord le charmant Bockenem médiéval enserré dans ses remparts aux 13 tours et déjà chargé d’un riche passé. Les plus vieux documents le dénomment Buckenheym dont l’étymologie n’est pas sans rappeler une origine celtique. En ce lieu, dit-on, le chef Bucco ou Burco, diminutif de Burckardt, aurait établi sa demeure sous les hêtres (unter den Buchen).

Mais au temps des Gallo-Romains s’élevait aussi tout près, au Wasserwald, un autel dédié à Bucius, une divinité éponyme de Mercure, le dieu des commerçants et des voyageurs. Cité commerçante et artisanale, le Vicus Saravi (?) des Romainsle deviendra rapidement, les légionnaires et colons dont la présence s’intensifia dans la région 58 avant Jésus-Christ, n’étant nullement insensibles au charme du plateau des Médiomatriques. Pour preuve, les nombreuses villae mises à jour au cours des deux derniers siècles dans les vallées de la Saar et de l’Eichelgau.

Ville libre en 1328

Au 7e siècle, la cité de Bockenheim est mentionnée dans une charte de l’abbaye de Wissembourg. Mais en 1178, on la dit verser sa dîme à celle de Neuwiller. Par une lettre de privilèges accordée en 1328 par Frédéric II, un comte de Sarrewerden vassal de l’évêque de Metz, elle accède au rang de ville libre et connaît alors un développement régulier tant sous la tutelle des comtes de Moers-Sarrewerden que des princes possessionnés de Nassau. A partir de 1557, ces derniers introduisent la réforme luthérienne et accueillent, deux ans plus tard, des Huguenots qui seront à l’origine de la renaissance des huit villages welches. Malgré les nombreuses vicissitudes dont la terrible Guerre de Trente Ans (1618-1648), Bouquenom, attribué avec Sarrewerden par la Chambre impériale de Spire à la Lorraine (1629), se relève peu à peu de ses ruines. Dans les registres catholiques et surtout protestants apparaissent après 1680 les noms des premiers émigrés suisses venus de Berne et de Lucerne.

Bientôt, la ville est gratifiée du qualificatif de  « Petit Strasbourg» tant le siècle du renouveau engendre dans et hors les murs une véritable métamorphose attestée par de nouvelles constructions : maisons à pignons Renaissance, poste aux chevaux, église-basilique Saint-Georges, collège des Jésuites d’Ignace de Loyola, couvent des religieuses de Pierre Fourier, moulins, brasseries, tanneries et manufactures de draps Karcher en font la véritable capitale de l’ancien comté et une ville étape pour les troupes de passage.

Mais le traité de Westphalie (1648) ne met pas fin aux troubles pour autant et Bouquenom retourne aux Nassau. Désireux de réaliser l’unification de l’Alsace et de créer la Province de la Sarre,  Louis XIV décide, en 1680, les Chambres des Réunions qui  ordonnent aux Nassau et autres princes possessionnés étrangers de ne reconnaître nul autre souverain que le roi de France. Au cours de son voyage dans les provinces de l’Est, le Roi Soleil  vient, d’ailleurs, se faire présenter, fin juin et début juillet 1683, plusieurs de ses régiments en manœuvre dans les environs de Bouquenom. Dès l’année suivante, il y fait reconstruire à ses frais les halles transformées depuis en hôtel de ville. Suite au traité de Ryswick de 1697, Louis XIV se voit pourtant obligé de restituer aux Nassau l’ancien comté de Sarrewerden à l’exception de Bouquenom et de Sarrewerden. Ces deux cités formant alors une enclave en terre nassovienne constitueront une prévôté lorraine rattachée au bailliage de Sarreguemines.

Une nouvelle capitale pour les Nassau-Weilbourg

Cette transaction oblige, néanmoins, les Nassau à renoncer à tout jamais à l’ancienne capitale administrative qu’était Bouquenom. Aussi décident-ils de se doter d’une nouvelle ville, une Neustadt qu’ilsélèvent à partir de 1707, en aval d’Altsaarwerden, juste en face de Bouquenom, sur la rive gauche de la Sarre. A présent, Neostadium ad Saaram, le Neusaarwerden qualifié de Nassauisches Mannheim  (le Mannheim des Nassau), voit  le jour. Ici, nulle copie d’une cité médiévale étouffant dans ses remparts comme le vieux Bouquenom, mais une ville moderne, ouverte, construite en damier et à l’architecture repensée : large rue principale se coupant à angle droit avec des rues secondaires menant aux bâtiments communs, ville où de magnifiques maisons bourgeoises aux frontons et tympans enrichis de sculptures se font face de part et d’autre de l’avenue.

A ville nouvelle promue, en 1645, chef-lieu du bailliage des Nassau-Weilbourg, nouvel hôtel de ville donnant sur la place du marché et, à proximité, nouvelles églises et écoles luthériennes et calvinistes… S’y élèvera même en direction du proche Harskirchen, chef-lieu de bailliage des Nassau-Sarrebruck, un château de plaisance que Goethe admirera encore en 1770.

Du Bouquenom français de 1766 au Saarunion français de 1794

A la mort du duc de Lorraine Stanislas Leszcynski (1766), l’enclave Bouquenom-Sarrewerden est rattachée à la France. En majorité catholique et foncièrement royaliste, la ville est loin de partager les idées des protestants de Neusaarwerden qui, à l’approche de la révolution française, sont touchés par la politique de propagande conquérante mise en place par la Convention nationale. La jeune République française promet, en effet, aide aux peuples voisins des frontières désireux « d’être soustraits au joug des valets corruptibles du despotisme » ! Les députés Henry Karcher (Bouquenom) et Nicolas Blaux (Sarreguemines) soutenus par Philippe Rühl (Strasbourg) redoublent de zèle pour demander la réunion de l’ancien comté de Sarrewerden à la France. C’est ce que réalisera le décret de la Convention du 14 février 1793.  Le 23 novembre de la même année, toutes les localités des princes possessionnés étrangers sont distraites de leurs anciens territoires et incorporées au Bas-Rhin.

Le 16 juin 1794, la Convention décide la réunion de « Neuf-Saarwerden (715 hab.) et de Bouquenom (1997 hab.) en une seule et même commune sous la dénomination de Saar-union ! ».  Comptant à présent deux sections et, en 1803, une population forte de de 3004 habitants, la ville inaugure, le 17 août 1851, la célèbre fontaine  aux boucs  de la Place de la République : deux animaux héraldiques devenus symboles de la vieille ville de Boucquenome.

Tout au long des 18e et 19e siècles, Saarunion ne cesse de se développer à travers ses meuneries, tonnelleries,  tuileries, teintureries ainsi que les tanneries Lerch – Harth – Herrenschmidt…

La ville est également connue par la fonderie de cloches et de pompes à incendie Grosz, les manufactures de chapeaux de paille et les « panamas » De Langenhagen, les couronnes de perles Karcher et Schmidt, ainsi que par l’importante corderie des Dommel…

Le Sarre-Union des 20e et 21e siècles

Au cours du 20e siècle, Saarunion dénommé, en 1915, Saar-Buckenheim par  un décret de l’empereur d’Allemagne Guillaume II, sera témoin, malgré les deux guerres mondiales, de nouvelles implantations industrielles : les ateliers de constructions Hacquard devenues un siècle plus tard Someta, la compagnie des gazogènes Imbert, la coutellerie Dockes, l’usine d’appareillages électriques Sarel s’intégrant à présent dans le groupe Schneider Electric, l’usine Réa (Rein Elsässischer Apfelsaft) prenant par la suite l’appellation « Jus de fruits d’Alsace », Ziemann-Hengel (précedemment Alubac) devenu Ziemex… Il y a encore lieu d’ajouter les sociétés Bruder-Keller et Secathen, branche dissoute du groupe Ziemann-Hengel, comme les nombreuses entreprises de bâtiments et de travaux publics. Mentionnons enfin la manufacture d’orgues Georges et Yves Koenig dont les instruments d’églises et de conservatoires de musique sont connus jusqu’au Japon.

Nombreux sont également ses enfants qui, parvenus à la célébrité, ont fait rayonner  le nom de Buggenum au-delà des frontières : limitons-nous à Jean-Jacques Schilt (1761-1842), général des armées napoléoniennes, Virgile Schneider (1779-1847), général et ministre de la guerre, Théodore Karcher (1821-1894), journaliste et député, Alexandre Hepp (1857-1924), journaliste et romancier, François Xavier Niessen (1846–1919), fondateur du Souvenir français, Victor Hamm (1894-1932), héros de l’aéropostale, André Aron (1909-1945) polytechnicien, officier supérieur et ingénieur de la Marine, Madeleine Stanley-Jossem-Simon (1908-2000), artiste-peintre, sculpteur et professeur à l’Ecole des Arts de Chicago.…

Reconnu comme capitale de l’Alsace Bossue, le chef-lieu de canton qu’est Sarre-Union compte aussi de nos jours une cinquantaine d’associations culturelles et sportives. S’impliquant étroitement dans la vie locale, elles contribuent à l’animation de la cité et à la mise en valeur de son riche patrimoine.

Véritable visionnaire à la fin du 18e siècle, Charles Alexandre Mathis, commissaire général des limites pour le roi de France et maire de Bouquenom, exprimait la nécessité de voir se rapprocher, déjà en 1790, les deux cités que séparait la Sarre : « L’intérêt le plus cher et le plus précieux est qu’il règne constamment une parfaite union, un bon voisinage et une fraternité entre les citoyens de Buggenum et ceux de Neufsaarwerden ! »  Trois siècles plus tard, ces souhaits sont devenus réalité !

Jean-Louis Wilbert

Vice-président de la Société d’histoire de Saverne

François-Xavier Niessen, fondateur du Souvenir Français et enfant de Sarre-Union

C’est le 09 octobre 1846 à Sarre-Union qu’est né François-Xavier Niessen.

Prématurément orphelin (sa mère décède en 1850, son père en 1859), il est recueilli par son oncle maternel qui l’envoie au collège Saint-Augustin de Bitche (Moselle). Après ses études, il enseigna quelque temps au collège Sainte-Croix de Neuilly-sur-Seine, avant de devenir professeur privé.

A l’issue de la guerre franco-allemande de 1870-1871, François Xavier Niessen s’était fortement ému du sort des sépultures des soldats français hâtivement aménagées à travers la campagne. En liaison avec les municipalités, il décida de leur faire élever des monuments, afin de perpétrer la mémoire de ceux qui avaient versé leur sang pour la France.

Ci-contre : Buste de François-Xavier Niessen, fondateur du Souvenir Français.

A cette fin, il fit adopter en 1877, à la mairie de Neuilly-sur-Seine, le projet d’Association Nationale du « Souvenir Français ». Il s’y consacra totalement et assura, de 1887 à sa mort (29/12/1919), la charge du secrétariat général. Il parcourut inlassablement la France et, en 1905, l’Algérie pour susciter des comités locaux et inaugurer des monuments. Le « Souvenir Français » fut reconnu d’utilité publique par décret du 01/02/1906 et placé sous le haut patronage du président de la République.

En raison de son activité patriotique, Francois-Xavier Niessen fut déclaré indésirable en Alsace-Lorraine et ce, par décision du « Ministerium für Elsass-lothringen » du 07/08/1896. Très attaché à sa petite patrie, il avait fondé dès 1873, année de mariage avec une Lorraine, la société de Prévoyance et de Secours Mutuel des Alsaciens-Lorrains, placée sous la présidence de François de Wendel, député de Meurthe-et-Moselle. François-Xavier Niessen en assumera le secrétariat général jusqu’en 1917.

Avant 1906, le « Souvenir Français » n’eut que peu de rayonnement dans les départements annexés. Il faudra attendre l’impulsion de son premier président, Jean-Paul Jean, futur député de Moselle (1919­-1924), pour qu’un comité, formé le 13/01/1907 en la mairie de Noisseville, définisse comme projet une cérémonie officielle du « Souvenir Français » pour le 01/04/1907 à Vallières-les-metz et l’érection d’un monument national sur le plateau de Noisseville à la mémoire des défenseurs de 1870. Grâce aux dons recueillis dans les 500 communes du département, l’édifice put être inauguré le 04/10/1908 sous les plis du drapeau tricolore, en présence d’une foule estimée à pas moins de 120000 personnes d’après les rapports de la police allemande. Les couleurs françaises flottaient à nouveau pour la première fois depuis 1870 sur la terre lorraine annexée.

D’après un article paru dans la Revue « Lorraine Illustrée ».

Une stèle au square François-Xavier Niessen

A Sarre-Union, un square porte le nom de François-Xavier Niessen

À l’occasion du 11-Novembre 2019, la commune de Sarre-Union a rendu hommage à François-Xavier Niessen, fondateur du Souvenir Français, à l’occasion du 100e anniversaire de son décès.

Une stèle a été dévoilée en présence de Françoise Niessen, son arrière-petite-fille, et du colonel Lefèvre, délégué général du Souvenir Français du Bas-Rhin.

Un rosier du souvenir a également été planté à proximité de la stèle et le Motet pour le Souvenir Français a été interprété par la chorale dirigée par Estelle Grosse, directrice de l’école de musique de Sarre-Union.

(Voir vidéo ci-dessous)

Le comité du Souvenir Français de Sarre-Union et environs est présidé par René Fontaine

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« Si Sarre-Union m’était conté… » par Louise Jung

En septembre 2018, Louise Jung, médiatrice du patrimoine à l’Office du Tourisme de Lorentzen, a proposé une sortie à la découverte de la ville de Sarre-Union. Organisée dans le cadre des Journées Européennes du Patrimoine, elle a permis aux participants de découvrir le riche passé de la cité.

L’exode de 1939 à Sarre-Union – Exposition de photographies de Georges Irrmann

Le vendredi 15 novembre 2019, au Temple Réformé de la Villeneuve, la commune de Sarre-Union et le Souvenir Français du canton ont programmé une conférence sur l’évacuation de 1939 et de 1940 animée par Jean-Louis Wilbert. C’est au cours de cette soirée que Georges Irrmann a exposé sa collection de documents photographiques rappelant la Seconde Guerre mondiale vécue dans notre région. Passionné de photographie, il possède une collection de près de 3000 photos anciennes, notamment du vieux Sarre-Union. Dans cette vidéo Georges Irrmann nous relate quelques faits marquants de cette période tandis que Jean Rondio de Herbitzheim, qui a vécu l’évacuation alors qu’il était jeune enfant, nous livre son témoignage.